C’est l’appréciation que porte un expert en finances des collectivités locales. La question qui se pose ensuite c’est : Que fait la commune de tout cet argent ? Bénéficie-t-il aux Najacois ? Les élus ne sont-il pas trop frileux ? Éléments de réponse du maire Gilbert Blanc.
« C’est une situation que bon nombre de communes aimeraient avoir. » C’est ainsi que Pascal Heymès, expert en finances des collectivités locales, interrogé par Najac infos, résume la situation financière de la commune de Najac. Quelques semaines plus tard, Najac infos rencontre Gilbert Blanc pour évoquer le sujet. Le maire de Najac cite « une personne de la trésorerie » (un service de l’État) qui a remis un rapport à la commune. Et quels sont les mots de ce fonctionnaire, selon l’édile ? « Beaucoup de communes aimeraient être comme Najac. » Étonnante proximité dans les termes de l’analyse pour deux personnes qui ne se connaissent pas. Il n’y a donc pas débat aujourd’hui : Najac est « une commune financièrement qui est très très à l’aise », comme le dit Pascal Heymès.
Mais alors, y-avait-il urgence à augmenter les tarifs d’entrée de la piscine en 2022 et supprimer la gratuité pour les enfants de moins de 5 ans (1) ? Y-avait-il urgence à augmenter ceux de la cantine scolaire en 2023 (+11 %) ? Dans un contexte de forte inflation et où les études et rapports se multiplient indiquant que de plus en plus de français sont en grande difficulté pour se nourrir (2) ? La commune n’aurait-elle pas pu faire un geste politique en disant : « Peut-être faudra-t-il augmenter les tarifs un jour mais compte tenu de la situation, on ne les augmente pas pour l’instant ? » Réponse de Gilbert Blanc : « On l’avait fait les années précédentes et cette année on a dit au regard des coûts des services, il faut qu’on limite un peu la charge financière pour la collectivité et donc on a décidé d’augmenter. On reste quand même dans des niveaux raisonnables pour les tarifs. »
300 000 € disponible chaque année
Était-ce si important de limiter les charges financières ? Car si on regarde les chiffres un peu plus en détail, on se rend compte qu’en 2021, la commune avait un fond de roulement – sorte d’équivalent du livret d’épargne pour un ménage – de 1,25 M€, un endettement qui allait devenir nul en 2022, un résultat comptable (différence entre recettes et dépenses) structurellement confortable à 377 000 € en moyenne sur 10 ans et donc une capacité d’autofinancement nette moyenne de 316 000 € sur 10 ans.
C’est à dire que Najac sur les 10 dernières années, une fois toutes les dépenses courantes et les annuités d’emprunts payés, a disposé de plus de 300 000 € chaque année pour financer des investissements. La rénovation de la piscine ou des logements communaux est d’ailleurs prévue. Un réseau de chaleur est aussi à l’étude. Avec ces 300 000 €, la commune aurait pu également décider de baisser ses recettes (les tarifs des services publics par exemple) ou d’augmenter ses dépenses de fonctionnement. Par exemple en embauchant.
Débordés de travail
Il y a en effet des arguments en faveur de l’embauche de personnel. D’autant qu’on entend souvent que les agents et les élus sont débordés de travail, que les projets pourraient avancer plus vite s’il n’y avait pas tant à faire. D’autant qu’il faut rappeler que les élus touchent une indemnité ridicule si on met leur travail en rapport avec le montant perçu par plusieurs d’entre eux (245 € brut pour le plus bas et même 0 pour plusieurs, voir ici pour le détail). Ce qui n’a pas empêché l’élu d’opposition, Mathieu Laroussinie d’aller jusqu’à suggérer, lors du dernier conseil municipal, que Fabrice Guibal, élu notamment en charge des marchés, assure la fonction de placier du marché (ici, vers 30′). En revanche, l’élu d’opposition ne questionnera pas le montant du salaire de placier qui se situe pas très loin du SMIC horaire alors qu’il s’agit d’un poste précaire consistant à travailler essentiellement le dimanche dès 7h du matin.
Au delà de cette anecdote surréaliste, rappelons que la commune a embauché un Volontaire territorial dans l’administration (VTA (3)). Mais pas de chance, le secrétaire de mairie est en arrêt maladie depuis le printemps et la personne recrutée a récupéré ses fonctions. « Cela nous a mis dans une grande difficulté », déclare Gilbert Blanc à propos de cette absence. Mais il reconnaît : « Je suis d’accord sur le fond, il y a un poste qui manque. »
« Ça ne nous autorise pas à faire n’importe quoi »
Mais le pas est difficile à franchir : « C’est une grosse décision que d’investir dans de nouveaux emplois. On recherche au maximum d’aller vers des emplois aidés. Là, nous avons déposé un dossier – je ne sais pas s’il va aboutir – pour embaucher un VTA, comme nous avions fait précédemment. Moi, j‘aimerais bien qu’on puisse avoir quelques emplois supplémentaires sur la commune. La question c’est comment on supporte le coût. On est dans une situation financière très confortable mais ça ne nous autorise pas à faire n’importe quoi. »
La question est bien les conclusions que l’on tire de cette situation très confortable qui, elle, on l’a vu, ne fait pas débat. Et où on met le curseur du « n’importe quoi ». Concernant les embauches, Pascal Heymès, pour sa part, déclare : « La commune a une CAF nette de 223 000 €. 223 000 €, on va dire, c’est bien 4 postes de catégories B. Et manifestement cette CAF très favorable est structurelle.» Par ailleurs, faut-il embaucher sur des contrats aidés donc précaires ou sur des contrats pérennes ?
Vient alors la question de savoir si les élus sont trop prudents voire trop frileux. Explications de Gilbert Blanc : « Moi je mets tout le temps en avant l’aspect financier quand on parle de choses. On me le reproche souvent mais bon, j’estime que c’est mon rôle. J’ai à cœur aussi – on n’en est pas là – de ne pas endetter la commune et de ne pas faire des choses irréversibles qui pèseraient sur l’avenir. Est-ce qu’on est très frileux ? Sur le fond, je pense que oui. Mais ça m’arrive aussi de dire aux élus : « Là-dessus, allons-y. On a de l’argent, allons-y. » Pas sur des dépenses de millions d’euros mais sur une dépense absolument nécessaire, on n’hésite pas. Je pense par exemple, quand on est arrivé, à l’équipement des personnels techniques. Quand je vois dans quelles conditions ils travaillaient…»
Village vacances : 4,5 M€ d’emprunts
On ne peut pas parler des finances de Najac sans évoquer le cas du village vacances de Puech Moutonnier. Pour lequel la commune a réalisé et continue de réaliser d’importants travaux de rénovation/modernisation dont la 3e tranche est en cours. Pour cela, elle a contracté plusieurs emprunts dont l’encours en 2022 était de l’ordre de 4,5 M€, le dernier devant se terminer en 2036. Ah mais ça change tout, vous direz-vous. Oui et non. Non parce que le bail signé avec VVF villages en 2005 et qui court jusqu’en 2034 prévoit, en son article 9, que l’association paye un loyer équivalent aux annuités d’emprunt. Donc c’est une opération quasiment transparente pour la commune.
Quasiment, car en cas de défaut de VVF, ce serait à la commune de rembourser les annuités d’emprunt. Un défaut de paiement s’il est aujourd’hui peu probable (5) n’est quand même pas à exclure. Et là oui, ça changerait tout. En effet, on a vu avec la Covid que le tourisme n’est pas toujours une valeur sûre. Et si la commune n’arrivait pas à trouver un autre exploitant ou à vendre le village qui compte 555 lits, une piscine découverte, une piscine couverte, un sauna, un restaurant, etc. la situation serait très compliquée. Car ce serait alors au budget de la commune, donc aux habitants, de payer les annuités d’emprunts : 629 000 € prévus en 2023. Une paille. Et dans ce cas, les impôts locaux augmenteraient quasiment mécaniquement dans de fortes proportions.
Les élus actuels, ou précédents qui ont signé le bail, ont-il envisagé un défaut de VVF ? « Nous, on n’a pas envisagé cette situation, répond Gilbert Blanc, j’ai coutume de dire : Chaque chose en son temps. » Et d’ajouter : « On a tous en tête que ça peut arriver mais c’est valable pour tous les baux. » Certes. Sauf que là, il ne s’agit pas du loyer d’un T2… Et comme VVF l’écrit dans son rapport d’activité 2022 au chapitre « risques » (p 32) : « Le secteur du tourisme est un des premiers secteurs à être particulièrement exposé aux conséquences des crises (économiques, financières, sanitaires, etc.), à l’inflation et à la baisse du pouvoir d’achat. » Cette analyse pourrait-elle s’appliquer aux communes très dépendantes de l’activité touristique ? Dans un contexte national et international mouvementé, faudrait-il songer à infléchir la trajectoire ? L’histoire le dira.
► Les trois élus d’opposition, Mathieu Laroussinie, Rémi Mazières et Claude Rabayrol ont donné suite à la sollicitation de Najac infos mais en raison d’un problème de mail lié à Najac infos, leur point de vue n’a pu être recueilli. Il leur a été proposé de le faire dans un second temps. Najac infos présente ses excuses à ces élus. [Mise à jour du 22/11/2023]
[Mise à jour le 24/11/2023 : suite à une remarque pertinente d’un lecteur, ajout de l’adjectif « horaire » à SMIC dans la phrase sur le salaire du placier]
Jacques-Olivier Teyssier
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(1) 25 % d’augmentation pour les enfants de plus de 5 ans (1,60 € à 2 €) et pour les 2 ans à 5 ans, on est passé de 0 € à 2 €. Pour les adultes : 17 % d’augmentation (3,5 € contre 3 €). Dans le même temps, la redevance reversée à la commune par l’AGAAC pour les touristes hébergés au camping dont l’accès à la piscine est gratuit, est de 2 € pour les adultes, 1 € pour les 5-11 ans et 0 € pour les moins de 5 ans (ici, p 36). À l’inverse, il faut noter que les Najacois ne bénéficient pas de tarifs préférentiels sur les activités de l’AGAAC.
(2) Lire par exemple : « Pauvreté : un Français sur trois s’est déjà privé de repas faute de moyens, selon une étude » (France inter, 6/9/2023) et « En 2023, une situation qui continue d’empirer en France, après une année 2022 déjà marquée par une forte dégradation sociale ! » (Baromètre Ipsos pour le Secours populaire)
(3) Les chiffres 2022 n’ont pas été encore publiés par le ministère des finances. Et si Najac infos disposent de chiffres 2022 pour Najac, tous les ratios ne sont pas présents.
(4) Un contrat de 18 mois maximum pour lequel la commune touche une aide de 15 000 €. Soit un reste à charge pour la commune très raisonnable.
(5) Dans son rapport d’activité 2022, VVF villages indique avoir réalisé un chiffre d’affaires en 2022 de 80 M€ et être propriétaire de 20 % des 101 sites qu’il exploite. Le taux d’occupation 2022 est en légère augmentation par rapport à 2019 passant de 59 à 62 %.